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Lettre de R. Gori à M. Ralite et M. Sueur


Rédigé le Mardi 3 Janvier 2006 à 01:06 | Lu 1016 commentaire(s)



Roland Gori
Professeur des Universités

Marseille, le 9 Octobre 2005


Lettre ouverte
A Messieurs Jack Ralite et Jean-Pierre Sueur
Sénateurs

Messieurs,

Sachant l’attention que vous avez bien voulu porter aux professionnels assurant en France la prise en charge de la souffrance psychique, je tiens à vous faire part de l’inquiétude que soulèvent actuellement les expertises collectives de l’Inserm en matière de santé mentale.

La communication aux médias de conclusions pour le moins contestables de certaines de ces expertises collectives, participe d’une campagne qui vise à obstinément et insidieusement médicaliser la souffrance psychique et à recomposer le paysage français de la psychopathologie au profit des logiques cognitivo-instrumentales de la santé mentale.

On ne saurait oublier que la notion même d’“ expertise collective ” avait été mise en place à l’Inserm en 1993-1994 par Philippe Lazar à la suite de l’affaire du sang contaminé afin d’éclairer les pouvoirs publics sur des questions d’actualité en mobilisant le savoir et le savoir-faire de toute la communauté scientifique concernée par les dites questions de santé publique. La “ marque ” de l’Inserm et sa responsabilité de coordination scientifique étaient censées garantir la fiabilité des expertises, la validité de leurs résultats et l’indépendance des chercheurs qui les réalisent. Or certaines expertises de l’Inserm concernant la santé mentale présentent toutes les caractéristiques de ce que vous avez-vous-même appelé “ les symptômes d’un artefact ”. Je fais ici référence à l’expertise collective sur l’évaluation comparative de l’efficacité des psychothérapies retirée depuis par Monsieur le Ministre de la Santé du site du Ministère. Cette expertise se présente sous les formes de la science, les mots de la science, mais sans les garanties de la science. La garantie d’une procédure d’expertise dépend de l’exhaustivité des publications sur la question traitée : ce ne fut pas le cas. On a fait au cours de cette expertise comme si l’énorme littérature psychanalytique, psychodynamique, n’existait pas et devait être comptée pour qualité négligeable. Les experts ont feint d’ignorer le délicat problème de populations et d’études non comparables sans tenir suffisamment compte de l’hétérogénéité de leurs composants et de la spécificité de leurs rationalités. La définition du référentiel psychanalytique est caricaturale et sa confusion avec les techniques psychodynamiques de toutes sortes révèle un manque de rigueur conceptuelle étonnant. Traditionnellement l’Inserm vérifie que les experts ne font pas partie de groupes de pression qui pourraient à leur insu infléchir la procédure de l’expertise à un moment ou un autre de sa réalisation. Rien ne garantit ici que ce fut le cas puisque l’on trouve principalement des partisans de l’évaluation scientifique des pratiques psychothérapiques construite sur un modèle médical. Comment alors s’étonner de la réponse de l’expertise pré-inscrite dans la manière même de poser la question ? L’expertise accomplit ce qu’elle dit : la psychanalyse n’existe pas. Au nom de la science, on a rendu légitime une idéologie partisane proclamant la supériorité thérapeutique des TCC sur les psychothérapies psychodynamiques. L’Inserm ne s’est pas contenté de décrire une rivalité entre les techniques psychothérapiques mais a engagé ses forces dans la bataille. On a fait comme si le soin psychique était un médicament et on l’a évalué comme tel. On a mesuré dans cette étude comparative des psychothérapies la proximité des techniques, évalué celles qui se rapprochaient le plus des effets du médicament en feignant de croire que l’on mesurait ainsi leur valeur thérapeutique.

Si j’ai choisi l’exemple de cette expertise, c’est bien parce qu’elle illustre de manière choquante les problèmes déontologiques et épistémologiques des expertises scientifiques de l’Inserm dans le champ de la santé mentale. Ces expertises proviennent d’instances et d’équipes de recherche plutôt frileuses à l’égard de la psychanalyse, voire hostiles, dont les conclusions se déduisent d’une procédure produisant une “ objectivité illusoire ”, objectivité davantage formelle que réelle. Bien que retirée du site du ministère une telle expertise a participé et participe encore à fabriquer une idéologie partisane prédisposant l’opinion à une recomposition du paysage des formations et des pratiques de santé mentale. Cette expertise n’est qu’une des étapes du parcours de médicalisation de la souffrance psychique accompli ces dernières années et auquel l’Inserm apporte ici son soutien institutionnel et sa légitimité scientifique.

Depuis 2003 et l’expertise sur le dépistage et la prévention des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent, le rythme des expertises concernant la santé mentale s’accélère : efficacité comparée des psychothérapies en 2004 ; autopsie psychologique d’abord, puis expertise des troubles des conduites de l’enfant en 2005. De telles expertises participent de la volonté de légitimer en France au nom de la science une idéologie scientiste qui serait à même de préparer l’opinion à la recomposition des paysages de la psychologie et de la psychiatrie. Ainsi le dépistage précoce des troubles du comportement, sa valeur prédictive de criminalité, ne participe pas simplement d’une “ médicalisation de la déviance ”, mais s’inscrit dans le champ des “ prophéties auto-réalisatrices ” bien connue des psychologues sociaux : l’oracle produit ce qu’il énonce. Les conclusions de ces expertises stigmatisent les paradigmes psychanalytiques et psychodynamiques et favorisent au nom de la science les logiques médicales et cognitivo-instrumentales davantage compatibles avec le souci sécuritaire de “ l’évaluation ” scientifique. On feint d’oublier au passage que l’évaluation se révèle autant une pratique sociale qu’un dispositif scientifique proprement dit. Les expertises de l’Inserm ci-dessus mentionnées présentent-elles les garanties suffisantes en matière d’évaluation ? Si tel n’était pas le cas, on laisserait insidieusement s’installer dans l’opinion et au sein des instances de décision des politiques de santé et de formation une idéologie selon laquelle les concepts et les pratiques naturalisant le psychisme sont plus scientifiques que celles qui affirment son irréductible spécificité. Ce faisant on aurait réussi à faire passer un postulat idéologique pour un énoncé scientifique.

Connaissant votre souci du bien public, je prends la liberté de vous solliciter en tant que parlementaire, afin que les organismes de recherches participent à une véritable information scientifique de nos concitoyens, en commençant par ne pas les priver des choix véritables qu’ils prétendent éclairer.

Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de ma haute considération,


Roland Gori



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