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STIRN S.: Sur le projet de légalisation des psychothérapies


Rédigé le Mardi 2 Décembre 2003 à 00:00 | Lu 193 commentaire(s)


Et si on légalisait l'exercice de la psychothérapie ?


Les pouvoirs publics ont décidé de s’occuper définitivement et radicalement de tout ce qui de loin et de près touche le préfixe psy-. C’est certainement pour cette raison que l’on parle le plus souvent DES psychothérapies ( = la palette des modalités, parfois tout venantes, de thérapies traitant de ou par le psychisme humain) au lieu de LA psychothérapie qui, pour les PSYCHOLOGUES, n’est qu’une des modalités de l’exercice de la psychologie (comme l’est aussi, par exemple, l’exercice de la neuropsychologie clinique …).

L’amendement de M. Bernard ACCOYER, même s’il s’agit d’un texte court et synthétique avec une apparence de lisibilité, ne peut être compris qu’à la lumière de nombreux rapports qui ont été remis au Ministère de la Santé pratiquement en même moment : le rapport Pichot-Allillaire de l’Académie de médecine, le rapport d’étape de la mission Cléry-Mélin « Pour le développement de la psychiatrie et la promotion de santé mentale » (15/09/2003), le rapport d’étape de la mission du Prof. Y. Berland « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » (octobre 2003) et toute une foule de rapports divers traitant du cancer, de l’Alzheimer, de la maladie de Parkinson etc., ainsi que le travail de l’Observatoire des professionnels de santé qui est en cours sur la création du Répertoire des métiers en santé mentale.

Qu’y-a-t-il de commun dans tous ces écrits ?

- un désir majeur de médicamentaliser ce qui est de l’ordre d’une rencontre psychique entre un « professionnel du psychisme » et un « psychisme lambda », assorti d’une note orwelienne « tous égaux, sauf certains plus égaux que les autres « ;

- une préoccupation essentielle : pallier au manque de psychiatres actuel, mais aussi futur (voir les rapports sur la démographie médicale et aussi le refus d‘augmenter le numerus clausus des étudiants en médecine se spécialisant en psychiatrie);

- un désir de contrôle de ce qui nous échappe, ne se voit pas et donc inquiète : le psychisme ;

- un désir encore plus profond que le changement de la 1ère version de l’amendement à la 2ème dénote bien : la « prescription » des psychothérapies qui dans la 1ère version relevait du psychiatre ET du psychologue, ne relève dans la 2ème que du psychiatre - rectification intelligente, notamment en ce qui concerne le remboursement de la prestation des psychothérapies qui risquait, dans sa 1ère version, alourdir encore plus le trou de la Sécurité sociale. En échange, le psychiatre se voit attribuer la désagréable tâche de supervision et d’indication des psychothérapies sous une pression probable de la Sécurité sociale qui sera lourde ;

- organiser les passerelles entre les différentes professions intervenant dans le champ de la santé, une cascade qui en descendant coûte, évidemment, de moins en moins cher. Si le corps psychique des citoyens est à ce prix …


1. GARANTIES DEJA OFFERTES AUX USAGERS

L’exercice de la psychothérapie n’est qu’une des modalités de l’exercice du psychologue dont le titre unique est fixé par la loi et dont l’exercice est régulé par le Code de déontologie des psychologues.

Le titre unique, protégé par la loi de 1985 (exigence d‘une « formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie », c’est-à-dire, l’obtention des trois diplômes en psychologie : la licence, la maîtrise et le DESS en psychologie (Bac + 5) pour pouvoir exercer), a eu comme objectif principal « d’offrir à l’usager des garanties quant au sérieux de qualification des professionnels » (Document Assemblée Nationale n° 2661 accompagnant ce projet de loi, 1985).

L’esprit de la loi a été confirmée par les décrets de la fonction publique (hospitalière, territoriale, PJJ, 1991, 1992) portant statut particulier des psychologues de chacune d’entre elles et qui précisent notamment que les psychologues «exercent les fonctions, conçoivent les méthodes et mettent en oeuvre les moyens et techniques correspondant à la qualification issue de la formation qu'ils ont reçue. A ce titre, ils étudient et traitent, au travers d’une démarche professionnelle propre, les rapports réciproques entre la vie psychique et les comportements individuels et collectifs afin de promouvoir l’autonomie de la personnalité ».

La loi portant réforme hospitalière (1991) définit comme mission première des « établissements de soins publics et privés (qui) assurent les examens ... ,la prise en « compte des aspects psychologiques du patient. » . A M. BIOULAC, Président, en discussion en séance de l’Assemblée Nationale sur cette disposition, d‘ajouter : « ... La notion de psychologie est aujourd’hui très importante. Nous avons donc estimé indispensable de la faire figurer au tout début des dispositions générales … ».

Le Code de déontologie des psychologues, auquel adhèrent tous les psychologues quel que soit le champ d’intervention dans la société, a été re-élaboré en 1996 par les organisations représentatives de la profession : « Sa finalité est de protéger le public et les psychologues contre les mésusages de la psychologie « . « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues. ».

Parallèlement, la Commission Nationale Consultative de Déontologie des Psychologues a été créée pour examiner toutes les questions soumises par le public ou les psychologues et pour rendre des avis.

Le projet de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (2002) a établi l’obligation d’inscription des psychologues sur « une liste des personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue » qui permet à tout usager, institution, etc., de la consulter auprès des DDASS pour vérifier que tel ou tel psychologue possède bel et bien le titre.

Voici, en ce qui concerne le psychologue, ce qui est des garanties mises en application au moins depuis 20 ans et ce qui en est de la transparence vis-à-vis du public.

Aujourd’hui, les psychologues possédant un titre, offrent des garanties sérieuses à l’usager quant à leur exercice, quelle qu’en soit la modalité, basé sur des études de haut niveau qui associent les théories, la supervision de la pratique et la recherche.
Leur mission première qui est celle d’œuvrer « à l’autonomie de la personnalité » est basée sur l’autonomie déjà reconnue de leur exercice et sur la collaboration étroite avec le monde médical et notamment les psychiatres avec lesquels ils sont en relation de confiance et de respect.


2. DES VERTES ET DES PAS MURES - LA SUR-MEDICATION ET LA SOUS-RECONNAISSANCE

La mission première du psychologue est d’ »œuvrer à l’autonomie de la personnalité »

L’autonomie professionnelle du psychologue, notamment au niveau du choix de « méthodes … moyens et techniques correspondant à la qualification issue de la formation qu'ils ont reçue … au travers d’une démarche professionnelle propre … » (décrets 1991, 1992) est la garantie même d’un travail sérieux avec les usagers.

Comme l’avait dit M. Bernard CHARLES, rapporteur, lors du débat sur le projet de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (2002, ad article sur la liste professionnelle) il faut « éviter tout amalgame » puisque « il reste que la profession de psychologue n’est pas considérée comme une profession de santé ».

N’oublions pas non plus la remarque de M. Claude Evin, rapporteur pour l’Assemblée nationale, qui a eu pour suite la suppression de l’article traitant dans cette même loi de la « Prise en charge psychologique des enfants et adolescents victimes de maltraitance ou présentant des risques de suicides par les réseaux de santé » : les psychologues, qui ont « un rôle important à jouer dans ce domaine ... s’opposent à ce que la prise en charge de ce public passe systématiquement par des prescriptions médicales obligatoires. Dans ces conditions, il est préférable de supprimer cet article. »


Aujourd’hui, les psychologues comprennent mal que l’on exige d’eux une formation complémentaire en psychopathologie (faisant partie intégrante de leur cursus), exigée aussi des médecins (mais eux, ne l’ont jamais reçu au cours de leur formation), ni la différenciation avec les psychiatres qui, comme les psychologues, ont reçu des pré-requis au niveau de la psychothérapie, de la psychopathologie, de l’entretien clinique, etc..

Ils comprennent mal, et ceci malgré de nombreuses expériences, étalées sur de longues années, d’entente et de collaboration avec les médecins et notamment les psychiatres, qu’une poignée veuille les réduire à des techniciens qui ne rempliront plus leur fonction qui est celle de l’ »interprétation » ( à quoi serviront les chiffres d’un test si personne ne sait les interpréter, à quoi servira le suivi d’un patient s’il reste fixé à une position qui ne lui permet ni de s’insérer dans la société ni d’être serein avec soi-même et donc avec les autres, et pourquoi se priver de l’interprétation neuropsychologique alors que les IRM et les scanner ne sont pas au point pour définir une démence débutante ? … ).

Pourquoi se priver de ce à quoi les psychologues sont formés ?


3. LA PSYCHOTHERAPIE

La psychothérapie n’est pas un outil mais une méthode de travail avec et par le psychisme basée sur la subjectivité, la relation, la confidentialité, définie par le professionnel auquel le sujet s’adresse dans un moment de détresse psychologique

Comme déjà mentionné ci-dessus, la psychothérapie fait partie intégrante des modalités d’exercice de la psychologie (sans que toutefois les psychologues en prétendent tenir l’exclusivité ! ) et œuvre vers l’autonomie de la personnalité.

Il est alors incompatible de la concevoir comme une simple technique ou « outil » que l’on peut classer, observer et distribuer à sa guise. C’est notamment l’observation qui tue tout processus psychothérapique et met le sujet à la place de l’objet, c’est-à-dire enlève à un individu sa singularité, le pourquoi il est venu et lui donne une place d’un objet (inter)changeable, comparable à n’importe quel autre, donc le (dé)pose à la place même de ce dont il souffre - l’indifférence pour sa « souffrance existentielle ». Il passe de cette « souffrance existentielle » à la « souffrance psychopathologique » du type « je me sens vide, triste, je n’arrive pas à gérer mes émotions … « à « vous êtes malade » (mental, de plus est).

La psychothérapie n’est pas seulement une écoute, une aide, un conseil, c’est une méthode d’ » élaboration psychique » qui nécessite un professionnel, garant d’un cadre d’une parole. Pourquoi ne se prescrit-elle pas ? Parce-qu’elle se décide non quand une personne dit « J’ai » ou « Vous avez besoin d’une psychothérapie », mais dans la rencontre singulière avec le thérapeute qui est certes, une rencontre entre le sujet et un professionnel, mais aussi une rencontre tout à fait subjective. C’est la base du sentiment de confiance, préalable à toute thérapie. Il n’y a pas de glissement possible du : « j’ai confiance en CE psychologue/psychiatre/psychanalyste » au « avoir confiance en mon médecin qui me dit que j’ai besoin d’une psychothérapie ».

Même si ce sont des difficultés relevant souvent du champ social (augmentation massive des personnes qui consultent suite à un chômage, par exemple) et qui entraînent ce qu’on appelle aujourd’hui communément « les dépressions », les psychologues /psychiatres / psychanalystes ne peuvent s’occuper de l’aspect « éducationnel », comme cela serait souhaité dans le rapport de l’OMS de 2001 (« Rapport sur la santé dans le monde 2001. La santé mentale: Nouvelle conception, nouveaux espoirs ») qui définit la psychothérapie comme « interventions planifiées et structurées qui visent à modifier le comportement, l’humeur et les différents stimuli par des moyens psychologiques verbaux et non verbaux. » . L’objectif central n’est pas de modifier un comportement, l’humeur … même si cela peut s’observer comme corollaire, mais d’effectuer un travail avec le sujet qui va du « soutien » dans la vie actuelle jusqu’à une mise en question des problématiques intrinsèques qui seules mènent vers une autonomie réelle de la personne.


4 - GARANTIES SUPPLEMENTAIRES

La transparence en continuité de l’évolution de la profession : la formation et le Code de déontologie des psychologues

L’explosion de la demande sociale vers le psychologue dont les interventions dans de nouveaux champs se sont multipliées et diversifiées, a entraîné et entraîne toujours une augmentation massive de ces professionnels sur le terrain (en tout, entre 37 - 40.000 !).

Pour répondre aussi bien à la volonté de transparence et à la crainte de procédés manipulatoires des sectes exprimée par le Parlement, les psychologues pensent devoir mieux asseoir leur formation et leur exercice, dans le respect des personnes qu’ils reçoivent, en définissant des garanties sérieuses supplémentaires : l’allongement de la durée de la formation tout en restant dans la continuité de la loi sur le titre unique, ainsi que la légalisation du Code de déontologie des psychologues, impliquant la création d’une instance disciplinaire.

Considérant que la psychothérapie est une des modalités de l’exercice, mais que cela concerne aussi bien la neuropsychologie clinique, la psychologie du travail, le domaine de la recherche, le monde de l’éducation … et en restant dans la continuité de l’esprit de la loi de 1985, deux points essentiels doivent être révisés par le législateur et par le Ministère de l’Enseignement supérieur :


1. UN ALLONGEMENT DE LA DUREE DE LA FORMATION

Qui prendrait pour exemple la réglementation et le niveau universitaire des pays nordiques où la durée est de minimum 8 ans, avec un doctorat universitaire d’un côté et un diplôme professionnalisant de l‘autre, comprenant aussi (obligatoirement) des pré requis théoriques et pratiques aux psychothérapies, à la et par la recherche, des stages d’une durée plus longue et en internat.


2. LE CODE DE DEONTOLOGIE DES PSYCHOLOGUES LEGALISE

Il est évident que les psychologues ne peuvent pas relever du Code de déontologie médicale, comme cela a été proposé dans l’un des rapports.

Mais il est tout à fait évident aussi que des garanties d’éthique doivent être mises en place de façon rigoureuse.

L’application du Code de déontologie des psychologues auquel, certes, adhère tout psychologue, est, en pratique basée sur l’honnêteté et la loyauté du psychologue. Mais, à l’heure actuelle, le Code ne protège ni les usagers, ni le psychologue. Si les pouvoirs publics demandent la transparence et dans le sens de la loi relative aux droits des malades de 2002, une légalisation du Code de déontologie des psychologues s’impose en premier lieu et donc, la création d’une instance disciplinaire pour son application et pour une possibilité de réponse responsable vis à vis des usagers.


CONCLUSION

Si une clarification s’impose, si des garanties sérieuses doivent être offertes aux usagers (au sujet, dirions-nous), cet amendement et ces multiples rapports cités ci-dessus, traitent en premier lieu du psychisme des citoyens. Dans une société démocratique, ayant un gouvernement libéral, l’Etat peut et se doit de veiller aux garanties que présentent les professionnels qui en ont la responsabilité ; déjà actuellement, le public considère que les psychologues offrent des garanties sérieuses sans être sous une tutelle et sont disposés à ce que le Parlement les renforce davantage.

C’est une responsabilité très lourde qui doit être partagée entre l’Etat et les professionnels concernés, mais aussi avec les représentants des usagers pour qu’elle puisse réellement devenir une garantie pour tous les trois acteurs.

Seule une concertation de tous ces trois acteurs à travers un débat public peut s’attaquer à ce sujet qui est aussi la base d’un fonctionnement « suffisamment bon » de la société.


Senja STIRN
Réseau national des psychologues

20/11/2003





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