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Le codage des pathologies et les droits des citoyens, 2000


Rédigé le Vendredi 6 Mai 2005 à 00:48 | Lu 1103 commentaire(s)



Le codage des pathologies et les droits des citoyens

Development Institut International, Paris les 18-19 mai 2000

Enjeux et perspectives du codage des actes

Ligue des Droits de l'Homme
Collectif Informatique, Fichiers et Citoyenneté
Collectif pour les droits des citoyens face à l'informatisation de l'action sociale




Introduction.


Depuis quelques années, plusieurs dizaines d’organisations de défense des droits de l’homme, d’associations, de syndicats (cf. liste en annexe), regroupant notamment des professionnels de la santé, des travailleurs sociaux, des juristes, des informaticiens, des enseignants et des usagers, se sont réunies pour réfléchir et agir afin de promouvoir les droits des personnes à l’égard des traitements informatisés des données à caractère personnel.

Défendre et promouvoir ces droits, dans leur acception la plus large, à savoir notamment celui pour chacun d’accéder sans restriction aux prestations et services que lui ouvre sa situation, mais aussi celui d’en bénéficier dans le plein respect de sa dignité et de l’intimité de sa vie privée.

C’est dans cette perspective que nous travaillons dans plusieurs domaines et sur divers aspects touchant à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : informatisation des secteurs sociaux et médico-sociaux, constitution de vastes fichiers de police comme le STIC, extension des possibilités d’utilisation du NIR par diverses administrations ou organismes, mise en place du système SESAM-Vitale, et projets de généralisation des échanges de données médicales à caractère personnel via les réseaux.

Ainsi nous avons été conduits à réfléchir et prendre position sur certains aspects de la protection des personnes à l’égard des traitements informatisés des données à caractère médical, dans le contexte ouvert par les différentes dispositions légales adoptées ces dix dernières années (loi n°93-8 du 4 janvier 1993, dite loi Teulade, et ordonnances du 24 avril 1996, notamment). Une part importante des réformes engagées à ce titre repose sur la mise en œuvre d’un codage généralisé des actes, des prestations et des pathologies pour l’ensemble des situations de soins où le médecin ou les auxiliaires médicaux sont impliqués.

Dans la réflexion portant sur les impacts du codage des actes et pathologies pour l’exercice des droits des personnes, nous identifions plusieurs questions, principalement centrées sur le codage des pathologies, qui seront développées ci-après :

l Quels sont les effets pour les personnes du caractère normatif et standardisé du codage des pathologies généralisé à toutes les spécialités médicales et situations de soins : effets individuels d’une systématisation de la codification sur la relation de soins, effets collectifs d’un usage " épidémiologique " de ce codage généralisé sur les politiques de santé publique engagées en faveur des personnes et populations ?

l La subordination du remboursement des soins à la transmission des codes actes, prestations, mais aussi pathologies, sans droit d’opposition de la personne portant sur cette dernière catégorie, est-elle légitime, tant sur le plan d’une " maîtrise des dépenses d’assurance maladie " que sur celui de " l’intérêt de la santé publique " ? Un tel dispositif est-il compatible avec l’égalité des citoyens face au droit à la protection de la santé, inscrit dans le préambule de la constitution ?

l Le codage généralisé et exhaustif dans l’espace et le temps des pathologies, pour chaque personne, conduisant à l’existence de bases de données sanitaires individuelles exhaustives ne constitue-t-il pas une menace potentielle pour les libertés individuelles ? Est-ce proportionné aux bénéfices individuels ou collectifs attendus ?

En conclusion, quelles propositions ébaucher pour assurer aux personnes les garanties nécessaires visant à préserver la sphére privée de chacun ?


I. Les effets du codage généralisé des pathologies sur la relation de soins et sur les politiques de santé publique :

Un récent article paru dans la revue Santé publique distingue deux approches classificatoires des troubles de santé lors d’une consultation médicale de ville :

- le " diagnostic positif ", " identification d’une affection (..) amenant à se référer de manière univoque à une maladie définie par la science médicale contemporaine ",

- le " résultat de consultation ", " identification d’une affection (...) permettant de se référer à une entité morbide dont le contenu est défini et qui peut être classée de manière univoque, sans toutefois pouvoir nécessairement se référer de manière univoque à une maladie définie par la science médicale contemporaine ".

Dans les deux cas la définition contient la notion de classement de manière univoque du contenu du(des) trouble(s) de santé observé(s) lors de la consultation médicale.

Or un tel classement univoque suppose de réunir un certain nombre de conditions :

- il faut disposer d’un ensemble de catégories correspondant à la diversité des situations observables ;
- il faut maîtriser la variabilité d’interprétation des situations qui peut intervenir entre les multiples codeurs, potentiellement les codeurs sont les quelques 180 000 médecins en activité et autant d’autres praticiens de santé ;

- il faut donc obtenir un consensus relativement élevé parmi les codeurs sur la signification des codes et sur leur adéquation avec la situation qu’ils sont censés exprimer ;

- il faut en conséquence que les situations exprimées par ces codes soient suffisamment stables, c’est-à-dire dépourvues d’incertitude et d’ambiguïté, et cela dans l’espace et dans le temps.

Certes des situations de ce type existent en médecine mais une part très importante de la pratique médicale, voire prépondérante dans certaines disciplines, par exemple en médecine générale, pédiatrie de ville, psychiatrie…, ne répond pas à ces critères.

Yves Charpak, épidémiologiste, l’exprime ainsi : " La place du systématique dans le codage est complexe. Les bases de données systématiques ont un sens si l’outil est suffisamment simple pour avoir une certaine validité Par contre, si c’est une usine à gaz avec un thesaurus de codes impossibles à manipuler dans la routine, par exemple la classification OMS détaillée, alors clairement c’est impossible et ce sera faux. (...) Autant le codage des actes n’est pas très compliqué, autant le codage du contexte, de la pathologie, de la raison du recours, du symptôme, du motif psychologique est beaucoup plus complexe. "

Une tribune, éditée à l’occasion du colloque sur " éthique et santé publique " organisé par l’Association des médecins inspecteurs de santé publique, et publiée dans la Revue du ministère des Affaires sociales et de la santé, développe un point de vue similaire : " tout le monde sait que les généralistes voient peu de malades pour lesquels un diagnostic est assuré : combien de maux de ventres, de mal-être, de céphalées pour une bonne maladie de Horton ? Les patients baptisent eux-mêmes de gastro-entérite ce qui reste, jusqu’à plus ample information, une diarrhée. (...) En fait donner des soins, c’est souvent le mélange d’une activité instrumentale qui peut être individualisée, repérée, donc codée et d’une activité humaine, clinique, intellectuelle, d’empathie, qu’il est bien difficile (voire impossible) de repérer en routine et donc de faire entrer dans un système de codage. (..) De façon un peu caricaturale, on peut dire que le codage des actes et des pathologies privilégie l’instrumental au dépens du clinique, le pathologique au dépens du social et le ponctuel au dépens du global. ".

Liliane Dusserre, présidente du comité Autoroutes de l’information et déontologie médicale de l’Ordre national des médecins et professeur de santé publique, souligne aussi que : " il n’existe aucun système de codage vraiment satisfaisant des situations pathologiques rencontrées en médecine de ville ", puis élargissant le champ de la réflexion : " (…) la médecine garde probablement un aspect culturel de dialogue informel d’individu à individu qui se plie difficilement à l’informatisation. ".

De son côté la Société française de santé publique (SFSP), dans un document de réflexion de septembre 1998, intitulé " Le codage des pathologies en médecine ambulatoire ", indique parmi les conditions requises pour que les bases de données constituées à partir du codage généralisé des pathologies servent à la maîtrise les dépenses de santé :

- l’absence de biais de sélection des informations stockées : les codes doivent être représentatifs de l’ensemble de l’activité observée, le codage doit être opérationnel quelque soit le lieu d’examen du patient.
- l’absence de biais d’observation : le codage réalisé par les professionnels doit être homogène pour un même état pathologique, alors que le code retenu peut masquer cet état pour protéger un malade atteint de pathologies sensibles, ou être adapté pour justifier actes et prescriptions.

- l’existence de recommandations de bonne pratique traduisibles en langage informatique et la constitution d’équipes d’experts pour décrire et interpréter les dispersions de pratiques.

Pour la SFSP, l’ensemble des conditions nécessaires paraît extrêmement difficile à réunir.

En outre, le document de la SFSP énonce des conditions complémentaires nécessaires pour une utilisation en santé publique :

" l’élaboration de modèles d’induction de l’offre à partir de la connaissance des pathologies identifiées et traitées, et la conception de stratégies de dépistage et/ou de prévention pour des populations ciblées.

Une finalité de contribution à l’intérêt de la santé publique a été attribuée au codage des pathologies sans que leurs relations ne soient explorées. Aucune publication ne fait état de tels rapports à travers les expériences étrangères ".

En fait pour la SFSP l’utilité du codage des pathologies pour la santé publique reste à démontrer.

On peut donc retenir que :

- d’une part un ensemble plus ou moins vaste des " troubles de santé ", selon les spécialités et les situations de soins, ne correspond pas à des entités objectivables en terme de codage de pathologies, car elles ne renvoient pas de manière univoque à une affection donnée (information finie référée au domaine des sciences exactes) mais demeurent du champ de l’incertain, de l’instable, du subjectif, de l’" existentiel ". Ces situations renvoient à une fonction d’étayage psycho-social du soignant qui fait totalement partie du soin (concept anglo-saxon de "care") au même titre que la fonction soignante plus classiquement reconnue (concept de "cure").

- d’autre part, pour les " troubles de santé " se prêtant effectivement à un codage en terme de pathologies, il faut aussi insister sur la difficulté méthodologique d’obtenir, pour un même état pathologique, un recueil de données homogène, parmi des dizaines de milliers de médecins qui ne sont ni des enquêteurs ni des chercheurs mais des praticiens exerçant une activité quotidienne de soins déterminée essentiellement par la dimension clinique et thérapeutique. S’y ajoute une

difficulté supplémentaire lorsqu’il s’agit de hiérarchiser le codage en une affection principale et une affection secondaire : le choix peut en être ardu, ne reposant pas sur des critères " objectifs " pour de fréquentes situations, laissant là encore une place importante à la variabilité inter-utilisateur ou au cours du temps pour un même utilisateur.

Si, pour les raisons précédemment évoquées, les praticiens ne trouvent pas dans le codage des actes et des pathologies un instrument utile d’évaluation de leur pratique, ils n’y verront qu’un outil de surveillance contraignante de leur activité. La réalisation de ce codage sera alors d’autant plus entachée d’erreurs et de biais :

- un biais dans l’élaboration des données transmises. Le praticien choisira un code qui ne correspond pas en tant que tel à la réalité de la situation observée qui se prête mal au codage, ou alors, deux praticiens coderont différemment des situations similaires. Il est aussi possible que le praticien code a posteriori dans un sens qui justifie la prescription, en lien avec l’éventuelle référence médicale opposable (RMO). Tout ceci se traduira par des statistiques de mauvaise qualité sur le plan médico-économique comme sur le plan de la santé publique, d’où des risques d’interprétation et de prise de décision erronées.
- un biais dans le dialogue avec le patient. Le praticien pourra être tenté d’orienter la consultation vers la recherche d’un diagnostic " codable ", inversant ainsi la démarche clinique qui consiste à partir du patient pour aller éventuellement vers le diagnostic, et non à devoir inscrire " par force " le patient dans une catégorie diagnostique préétablie. La classification qui structurera et standardisera le langage codé, " faisant système " pour le système de santé, ignorera la part non codable de l’histoire de santé du patient, risquant alors de " faire système " aussi pour ce dernier.

Cela est clairement exprimé par le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne : " Si cette standardisation peut contribuer à améliorer la qualité des soins et à assurer le respect des "bonnes pratiques médicales", elle encadre, par ailleurs, la relation médecin/patient à l’intérieur d’un schéma préétabli ".

Liliane Dusserre souligne également, à propos du système SESAM-Vitale : "L’indépendance des professionnels de santé, et notamment des médecins, ne sera-t-elle pas menacée par la perspective d’une surveillance quasi continue de leur pratique ? ".

Dans un autre cadre, celui des HMO américains, ce contexte de tutelle médico-administrative, essentiellement tourné vers la réduction des coûts, a déjà largement démontré ses effets pervers.

Pour sa part, l’usager du système de santé se trouvera de fait réduit à la représentation tronquée qu’offre de lui le système du codage : celui-ci restitue aux professionnels qui lui prodiguent les soins et au système de santé plus généralement, non l’expression de sa réalité globale de santé, mais celle d’un " double informationnel " ne correspondant plus au patient réel. L’usager est ici dépossédé de sa propre histoire de santé.

Ainsi :

- sur le plan individuel les patients auraient fort à perdre à voir la relation qu’ils entretiennent avec le praticien réduite de facto à la recherche unique par ce dernier d’une réponse normative et standardisée à leur demande de soins, bien loin du rôle d’étayage psychologique et social inhérent à une pratique soignante s’adressant à chaque patient pris dans sa singularité et sa globalité.

- sur le plan collectif, les individus composant une population " cible " pour des politiques de santé publique auraient aussi tout à perdre à voir ces politiques mises en œuvre à partir d’études reposant sur une information si peu valide et si peu fiable. De plus, la réalisation de statistiques

dans ces conditions pourrait accréditer " scientifiquement " le profilage de quartiers ou de groupes de populations, conduisant à une stigmatisation rejaillissant sur les membres de ces communautés (par exemple zones à " forte concentration de toxicomanes ").

Mettre en garde contre les effets normatifs du codage des pathologies sur la relation individuelle de soins, et contre le risque élevé de non pertinence d’un usage épidémiologique constitué à partir d’un tel codage généralisé, signifie-t-il que les pratiques de soins doivent rester en marge de toute tentative de description, d’analyse, d’évaluation ?

Tout au contraire, la dimension non codable et non quantifiable des pratiques de soins, mérite d’être explorée et qualifiée. Pour cela il faut reconnaître que la médecine ne se résume à sa conception biomédicale dominante, essentiellement déterministe (modèle anatomo-clinique hérité des débuts de la médecine scientifique occidentale), mais qu’elle prend en compte l’ensemble des déterminants de santé dans leurs multiples interrelations (somatiques, psychiques, sociaux, culturels, etc.). Alors, approfondir la connaissance des besoins de santé et des pratiques de soins suppose de faire appel à de multiples disciplines : psychologie, sociologie, anthropologie, histoire, philosophie, autant qu’épidémiologie et statistiques.

C’est le cas de la prise en charge du diabète, domaine pourtant très technique sur le plan médical, pour laquelle les hospitaliers font de plus en plus appel à des approches d’accompagnement psychologique, social et culturel.

Enfin, concernant la validité des procédures envisagées, dans les divers milieux scientifiques concernés, de nombreux chercheurs s’accordent sur le fait que des études statistiques et épidémiologiques, ou sociologiques, réalisées sur échantillons selon un protocole ad hoc aux hypothèses testées sont le plus souvent plus pertinentes pour étudier finement les pratiques médicales et l’état de santé des populations que la réalisation d’études reposant sur un codage généralisé et exhaustif des pathologies par les praticiens de santé de terrain.



II. Codage des pathologies et droits des personnes aux prestations d’assurance maladie :


Selon Rémi Pellet, professeur de droit public : " Le codage des actes, prescriptions et pathologies est institué [par la loi du 4 janvier 1994] non seulement en vue de permettre le remboursement des prestations aux assurés sociaux et à leurs ayant droits mais aussi " dans l’intérêt de la santé publique ". C’est ce fondement qui est censé justifier un codage des pathologies dans la perspective d’études épidémiologiques. La nécessité de disposer des données nominatives dans ce type de recherche est scientifiquement parfaitement contestable. (...) le contrôle de la situation individuelle des assurés sociaux est en fait du seul intérêt - financier - de la sécurité sociale et ne requiert pas un contrôle des pathologies mais le cas échéant des seules prescriptions ".

La non pertinence du codage généralisé des pathologies pour réaliser des études épidémiologiques, afin de contribuer à " l’intérêt de la santé publique ", a été exposée précédemment.

Concernant l’autre finalité du codage selon la loi du 4 janvier 1993 (le remboursement des soins), Rémi Pellet indique : " Le Conseil d’État a donc semble-t-il considéré que cet alinéa particulier [relatif aux personnel du contrôle médical des caisses comme étant le seul destinataire des données nominatives associées aux codes pathologies] excluait que le codage des pathologies puisse être utilisé " afin de permettre le remboursement " des soins puisque seul le

service du contrôle médical a accès à ces informations, à l’exclusion notamment des services de " liquidation " des caisses de sécurité sociale, chargés de vérifier le bien fondé des demandes de remboursement et de les ordonnancer. Il faut en conclure que le codage des pathologies ne peut s’effectuer que dans " l’intérêt de la santé publique " qui n’est pas réductible à l’intérêt financier de la sécurité sociale qui dispose d’autres moyens désormais - le codage des actes et prestations - pour procéder au bon remboursement des prestations ".

Pour sa part, la CNIL argumentait : " les assurés sociaux et leurs ayants droit doivent pouvoir refuser la transmission des codes "pathologie" aux organismes d’assurance-maladie sans qu’il résulte de conséquence à leur égard " alors que le projet de décret en application de la loi du 4 janvier 1993 pouvait " conduire à exclure du dispositif des soins les patients qui ne souhaitant pas, pour des raisons légitimes, que cette catégorie de données soit communiquées aux organismes d’assurance maladie, seraient alors conduits, faute de ressources suffisantes, à renoncer à tout traitement " et " alors même que le droit à la protection de la santé est inscrit dans le préambule de la Constitution ", comme elle le soulignait.

En définitive, le gouvernement de l’époque a suivi le Conseil d’État et la CNIL puisque le décret du 6 mai 1995 établit une claire distinction entre les finalités du codage des actes et prestations et celles du codage des pathologies : le remboursement par les caisses d’assurance maladie des frais avancés par les patients n’est plus conditionné qu’au codage des actes et prestations, que la transmission se fasse par traitement automatisé ou non.

Pourtant, moins d’un an plus tard, l’ordonnance n°96-345 du 24 avril 1996 a remis en cause le droit des assurés sociaux à s’opposer au codage de leur pathologie. À plusieurs reprises depuis, sur la base des arguments déjà cités, " la CNIL a fait connaître publiquement que la position du gouvernement sur ce point mériterait d’être revue ".

Rémi Pellet s’inquiète pour sa part de la portée du texte de l’ordonnance d’avril 1996 qui " a pour effet de conditionner l’accès à l’assurance maladie au codage des pathologies des assurés sociaux et de leurs ayants droit. Le prétexte du contrôle de l’activité des médecins ne pouvant en l’espèce être invoqué puisqu’il s’agit de l’ouverture du droit à être assuré, le renvoi général à " l’intérêt de la santé publique et à la contribution à la maîtrise des dépenses d’assurance maladie " ne suffit pas à convaincre du caractère équilibré du bilan " coût-avantage " de cette disposition ".

Ainsi doit être mise en question " l’application du principe de proportionnalité des moyens aux buts poursuivis par la loi, au regard des finalités mêmes de cette loi " :

- en l’occurrence les moyens concernent notamment le codage des pathologies qui permet la constitution de fichiers nominatifs de pathologies représentant un risque considérable pour les libertés individuelles et la vie privée (cf. point III ci-après), comme le rappelle la CNIL : " les données médicales font partie de celles qui nous sont le plus précieuses car elle relèvent par nature de notre intimité " ;

- il y a bien disproportion manifeste entre ce risque d’atteinte aux libertés individuelles et la finalité de la législation, " dans l’intérêt de la santé publique et en vue de contribuer à la maîtrise des dépenses d’assurance maladie ", puisqu’il a été montré précédemment que le codage généralisé des pathologies ni ne contribue pertinemment au premier objectif, ni n’est utile à la réalisation du second.

C’est pourquoi priver les citoyens d’un droit d’opposition à la transmission aux caisses des informations portant sur les pathologies diagnostiquées n’est pas légitime, tant sur le plan d’une " maîtrise des dépenses d’assurance maladie " que sur celui de " l’intérêt de la santé publique ". En outre, cela rompt bel et bien l’égalité des citoyens face au droit à la protection de la santé, inscrit dans le préambule de la constitution.

C’est pourquoi ce droit d’opposition à la transmission des pathologies sous forme codée doit être reconnu sans aucune restriction et rétabli dans la législation.



III. Codage des pathologies et traçabilité des données personnelles de santé :


La CNIL indiquait dès 1996 que " Le dispositif du codage présente cette caractéristique de permettre aux caisses d’assurances maladie de constituer et de conserver, sur l’ensemble de la population des assurés et de leurs ayants droit, des fichiers nominatifs et exhaustifs comportant des informations de caractère médical, qui relèvent à ce titre de l’intimité de la vie privée. Plus précisément, il permet pour un acte ou une pathologie donnée de répertorier, dans le ressort de chaque caisse, les assurés s’étant vus prescrire cet acte ou ayant souffert de cette pathologie ou encore, pour un assuré donné, de répertorier l’ensemble des actes et prestations dont il aurait bénéficié, ainsi que l’ensemble des pathologies qui l’auront affecté ".

Or, comme la CNIL le rappelle, ces données " font parfois l’objet d’une grande convoitise. La santé est un marché, des professions en vivent " et dans un domaine où les entreprises sont soumises à une forte concurrence, " l’information médicale devient alors, même lorsqu’elle est protégée par le secret, un atout décisif dans cette lutte ".

Cette appréciation est partagée par le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne : " La récente loi votée en Islande, réservant à une seule et unique entreprise pharmaceutique l’accès à l’ensemble des données de santé anonymisées sur la population du pays à des fins de recherche et de développement, souligne, s’il en était besoin, la haute valeur économique des données personnelles de santé ".

Et, comme Rémi Pellet l’ajoute, " Comment ne pas penser à la tentation que représenteront ces fichiers médicaux nominatifs, pour l’industrie pharmaceutique, les assureurs, banquiers et employeurs ? Ce n’est pas faire injure à ces professions que de souligner l’attrait de ces informations surtout lorsque les entreprises affirment procéder par fonction à la " sélection des risques " qui n’est pas pour elles " une démarche discriminatoire mais un impératif technique " ".

Ainsi le fait que le codage des actes, des prestations et des pathologies, soit transmis aux caisses d’assurance maladie sous forme électronique et en étant identifié avec le NIR, ou avec tout autre identifiant de portée générale, représente pour les citoyens un des risques majeurs de ce dispositif.

Avec le temps pourrait se constituer pour chaque personne le regroupement des données sur sa santé physique, mentale et " sociale ". En l’absence de détermination de la limitation de la durée et des modalités de conservation de ces données stockées, une sorte de fichier sanitaire nominatif et exhaustif pourrait être géré par la caisse d’affiliation de chaque patient. Avec le chaînage dans le temps des pathologies codées, on assisterait à la mise en place d’un authentique " casier sanitaire ".

L’intérêt des employeurs, des banquiers, des assureurs pour les bases de données relatives à la santé des personnes est évident. Les risques de détournement de finalité le sont tout autant, puisque justifiés au nom de la concurrence économique. Le " casier sanitaire " pourrait aussi servir à cibler les malades par profils et à mettre en regard une offre de soins restreinte prédéfinie, ceci dans une logique de mise en concurrence des caisses de sécurité sociale avec les assurances privées, sur le modèle des HMO américains. Qu’en serait-il des fichiers sanitaires des personnes constitués par ces caisses puis confiés au privé ? Alors les informations ne seraient-elles pas utilisées dans une logique assurantielle de sélection préalable des risques ou croisées avec les fichiers d’assurance vie, de prêts... ?

Il ne faut pas non plus écarter la possibilité que, lors de démarches auprès d’un employeur, d’un banquier, d’un assureur, l’individu lui-même ne soit tenté, face à des sollicitations excessives, de fournir un " certificat de bonne santé ", contenant copie des informations contenues dans ledit " casier sanitaire " qu’il aura obtenues auprès de l’organisme détenteur de ces informations.

La Société française de santé publique relève les mêmes dangers : " Les risques d’atteinte à la vie privée des personnes ne sont pas négligeables à partir du moment où le diagnostic de l’affection, sortant du colloque singulier du malade avec son médecin, enrichit des bases de données informatiques interrogeables par des tiers (...) En effet, en terme d’assurances, la pathologie est une information précieuse puisqu’elle conditionne les risques d’un individu, donc les primes. A l’heure où certains souhaitent privatiser l’Assurance maladie, il ne semble pas superflu de réclamer des garanties. La connaissance de l’état médical pourrait être utile pour aider certains employeurs indélicats à recruter ou à licencier des salariés. (...) Le secret professionnel de santé a été institué dans l’intérêt des patients. Il appartient à l’ensemble des dispositions protégeant la vie privée de l’individu (...) dans ses exceptions, la loi doit respecter un principe de proportionnalité entre les bénéfices attendus pour la société et les risques en matière de libertés individuelles. "

Ainsi, les risques d’atteinte aux libertés individuelles liés à la constitution de ce " casier sanitaire ", qui organise la traçabilité de l’histoire de santé pour chaque individu, sont fondamentalement disproportionnés au regard des bénéfices attendus du codage des pathologies, dont les limites ont déjà été exposées.

Il convient donc d’éviter la constitution de bases de données nominatives pérennes, tant à partir du codage des pathologies, qu’à partir du codage des actes qui est déjà porteur de nombreuses informations sur les personnes.

Pour cela, nonobstant les éléments avancés sur la faible adéquation du codage des pathologies à la réalité de nombreuses disciplines et situations de soins, peuvent être proposées certaines modalités concernant la transmission d’informations de santé aux organismes d’assurance maladie, comme :

- le découplage du traitement des informations nécessaires à la gestion administrative des droits à l’assurance maladie (transmission des feuilles de soins électronique) et des informations portant sur les pathologies ;
- le strict encadrement de la durée de conservation des données nominatives transmises aux fins de gestion (actes, prescriptions) ;

- l’anonymisation à la source des données transmises à des fins de statistiques, d’autant que ces données pourraient être traitées par les organismes d’assurance-maladie ou par d’autres institutions (URML,…).

Conclusion :

Tel qu’il est envisagé, le codage des pathologies pose plus de problèmes qu’il n’en résout.

Sur le plan d’une utilisation " dans l’intérêt de la santé publique ", sa pertinence est hautement discutable pour bien des domaines de l’activité médicale du fait du caractère nécessairement réducteur de toute classification. Il convient donc de mettre en garde les décideurs des politiques de santé publique à ce sujet.

Sur le plan des droits des citoyens, il convient d’éviter plusieurs écueils :
l Celui qui conduirait à remettre en question l’accès aux soins, par la remise en question de leur remboursement, pour des personnes qui, légitimement, refusent la transmission des codes pathologies aux caisses. Dans les faits, le citoyen doit avoir la maîtrise des échanges d’informations de santé le concernant, entre professionnels de santé et entre ceux-ci et les administrations gestionnaires de services ou prestations de santé. Ainsi le recueil des données personnelles de santé devrait reposer sur le principe du consentement exprès de la personne. Celle-ci doit à tout le moins pouvoir exercer un droit d’opposition, sans préjudice pour l’obtention de ses droits sociaux.

l Celui qui conduirait à la constitution d’un "casier sanitaire" pour chaque individu au sein des caisses de sécurité sociale ou de tout autre organisme : un tel chaînage des pathologies codées le concernant, gisement exhaustif de données concentré en un lieu qui se traduirait par une traçabilité de l’histoire de santé des personnes, doit être rejeté. La durée de conservation des données nominatives transmises aux caisses aux fins de gestion (actes, prescriptions) doit donc être strictement encadrée, pour empêcher que ne se constitue un tel "casier sanitaire".

Ces questions essentielles méritent d’ouvrir un débat à toutes les composantes de la société, portant sur le processus global d’informatisation des données personnelles de santé. Lors d’un tel débat devrait être mis en question la validité et la légitimité du système de codage, tel qu’actuellement envisagé par les pouvoirs publics comme outil essentiel pour la régulation économique du système de santé et pour la santé publique. Les citoyens sont actuellement totalement dépossédés des enjeux liés au codage, alors même que le coût d’un tel système sera supporté par la collectivité. Un large débat public devrait donc permettre de réfléchir à diverses conceptions de la régulation du système de santé. Il doit aussi conduire à obtenir, pour chaque citoyen, lors du traitement des données personnelles de santé, la préservation du droit fondamental à une sphère privée.


Pierre SUESSER

(Collectif pour les droits des citoyens face à l’informatisation de l’action sociale)






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