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BARAK J.: Une loi pour les psys


Rédigé le Vendredi 12 Décembre 2003 à 00:00 | Lu 185 commentaire(s)



Par un article de loi voté à l'Assemblée Nationale le 08.10.03 et proposé au Sénat, la pratique des "psychothérapies" sera réservée aux seuls psychiatres, et aux médecins et psychologues qui pourront présenter des diplômes "d'écoles de psychothérapeutes". L'objet de cette loi est de protéger le public des charlatans et des sectes, et de faciliter l'accès aux soins. Si ces motifs sont éminemment louables, c'est en fait l'inverse qui va se produire. Si l'opération réussit, ce sera au prix de la mort du malade. Nous tenterons d'apporter des éléments de réflexion pour éclairer cette affaire qui s'avère être d'une extrême complexité.

Autant la perversité de ce texte frappe comme une évidence nombre de psychologues cliniciens et de psychiatres avertis, autant une minorité de ceux ci et nombre de ceux là se lèchent les babines, autant il apparaît que démontrer cette nocivité au grand public, députés compris, relève de la mission impossible.

En effet, pour comprendre la portée de ce texte, il faudrait :

1) Faire l'historique de la psychologie clinique et de ses relations filiales conflictuelles avec la médecine dont elle est issue.

2) Conter l'histoire de ses relations de concurrence et d'attirance avec la psychanalyse, celle de deux sœurs ennemies: un très grand nombre de psychologues cliniciens franchissent le Rubicond qui les mène sur l'autre rive du savoir, l'inconscient.

3) Il faudrait expliquer ce qu'est la psychanalyse, ce que sont les psychothérapies, issues de celle ci et adaptées, ou importées des Etats Unis, haut lieux des résistances à l'inconscient. En dévoiler les dérives sémantiques, théoriques, ou sectaires. Il faudrait en démonter les mécanismes, en montrer les bienfaits ou les méfaits, les dangers. Et comment elles ont peu à peu pénétré l'université. La psychologie est un invraisemblable fourre tout, la psychologie clinique est elle même aujourd'hui profondément divisée.

4) Il faudrait pour ce faire et dans le même temps expliquer ce qu'est le psychisme humain, son extrême complexité, sa fragilité, sa consubstantialité avec l'usine chimique qu'est notre organisme. Démontrer qu'on ne peut réduire l'infiniment complexe à l'infiniment petit de la chimie cellulaire.

Montrer ce qu'est la souffrance psychique, la définir, dire en quoi elle diffère de la "maladie mentale". Montrer leurs effets dans le champ social, la place du soin, l'évolution de celui ci dans l'histoire de notre civilisation.

6) Démontrer enfin comment cette loi est l'un des symptômes parmi d'autres d'un changement de civilisation, où nous voyons avec l'A.G.C.S., "l'Accord Général sur le Commerce des Services", se mettre en place la mort programmée de tous les services publics. Nous vivrons à terme dans une société de consommateurs, de marchands et de vigiles, menacés par les exclus, les "pauvres", les "sans domicile fixe" et ceux qui ne se soumettront pas, les hors la loi.

Un ouvrage et douze conférences n'y suffiraient pas.

A qui se fier?

Alors à qui se fier quand on n'est pas spécialiste ? D'ailleurs, qui est spécialiste ? Comment, quand on n'est ni un usager ni averti, exercer son intelligence et préserver son libre arbitre dans un domaine aussi difficile d'accès ?

S'il faut des années d'études, de recherches, de travail sur soi, de confrontation de son savoir avec ses pairs et ses aînés pour entrevoir ce qu'est le psychisme humain et la façon dont il fonctionne ou dysfonctionne, il est bien plus facile de se laisser glisser dans la jouissance de théories faciles et simples. Peu importe qu'elles soient fausses.
"Quand on est dans la souffrance ce n'est pas la vérité qu'on veut entendre, c'est ce qui nous console" écrivait Romain Gary. C'est pourquoi quoi qu'on fasse les humains se jettent dans les bras des gourous de tous genres, comme nos Présidents de la République ont leurs astrologues. Rien de nouveau sous le soleil. Depuis Freud, il y a ceux qui prennent le risque d'affronter leurs vérités et leurs démons, ça prend du temps, c'est difficile et douloureux, et ceux qui professent que tout est équivalent, qu'il faut faire simple et rapide. Time is money. Il en est ainsi des nouvelles thérapies.

Avant.

Chacun trouvait qui son astrologue, qui son bon pasteur, qui son église, qui son voyant, qui sa secte, qui sa nouvelle thérapie, voire et même la psychanalyse. Les sciences respectaient les croyances au nom de l'inaliénable liberté des cultes. Demain de "nouvelles thérapies" scientistes deviendront religion officielle: dans le domaine de la psychiatrie, de la psychologie et des psychothérapies comme dans le domaine politique et social, avec ses armes de séductions grossières mais éprouvées, le populisme envahit la pensée et les institutions, il prend le pouvoir.
Habitués à s'autoréguler, à travailler ensemble et à toujours remettre sur le chantier leur modeste savoir, les psychanalystes- et donc les psychologues cliniciens de formation analytique - ont toujours refusé qu'on les enferme dans des lois imposées par des profanes, fussent-ils de bonne volonté. La présente loi veut les légaliser contre leur gré, mais en faisant de la psychanalyse une psychothérapie au même titre que les thérapies "cognitives" ou comportementales, et les "thérapies systémiques", dont il faut bien avouer que les unes sont dangereuse, et les autres perverses. Ca reste évidement à démontrer, nous nous y emploierons par ailleurs.

Tout le monde est beau, tout le monde est gentil, toutes les erreurs sont équivalentes.

Nos édiles ne font manifestement pas la différence entre la psychanalyse et une psychologie de café du commerce dont les histrions ? brillent au firmament des médias: quel moment d'émotion devant la couverture du "Nouvel Obs" avec les deux plus ringards de nos représentants enlacés, l'alliance de "Oedipe toi-même" et de la résilience, Rufo et Cyrulnik!
Fussent-ils couverts de diplômes, les charlatans ont toujours tenu le haut du pavé. Demain ils seront labellisés, légalisés, ils détiendront un pouvoir discrétionnaire inscrit dans la constitution. C'est une révolution.
En réservant le droit de mener des psychothérapies aux seuls psychologues et psychiatres, la loi semble enfin reconnaître la validité de diplômes qui n'en avaient pas besoin.
En réalité ils seront invalidés puisque les professionnels devront passer par les fourches caudines d'instituts privés, souvent plus proche de la pompe à finance que de la science, mais qui sont des lobbies puissants.

Et si les psychiatres ne sont en aucune façon préparés par leurs études à mener des psychothérapies, du fait de leur présence auprès du public en souffrance et en demande, ils sont avec les psychologues dans une position propice à l'acquisition de cette compétence. Pourvu qu'ils en aient le désir, qu'ils s'en donnent les moyens, qu'ils en paient le prix. Comme il est fort élevé, ca ne peut pas s'imposer.

Remboursement des psychothérapies.

Autre grande nouveauté : les actes de psychologues seront remboursés et ils pourront prescrire des psychothérapies. On pourrait croire qu'il s'agit d'un progrès social, que le "soin" sera accessible à tous. En fait seules les "pathologies graves" auront accès à ces "soins". En clair, il faudra être schizophrène.

Tous ceux qui fréquentent les centres médico-psychologiques pour des souffrances et des difficultés d'être ne relevant pas de "pathologies avérées" n'auront plus leur place, c'est du confort. un médecin coordinateur, qui peut être un généraliste, décidera par téléphone des indications de psychothérapie, de la nature et de la durée du traitement. C'est un peu comme si on confiait à des psychologues la maîtrise du programme spatial de la France sous prétexte qu'ils sont dans les nuages. A chacun son domaine de compétence.

Il faut lire le "Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale" de la mission Clery-Melin remis au Ministère de la Santé de la Famille et des personnes handicapées le 15.09.2003 sur lequel s'appuie ce texte de loi. La réalité dépasse l'affliction.

Pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu'ils votent.

Quelques élus benêts, clairsemés et ensommeillés qui votent à pas d'heure sans la comprendre une loi perverse présentée par un élu du peuple, certes ORL mais incompétent dans le domaine où il légifère, cédant à l'amicale pression de lobbies de charlatans à la recherche de nouveaux filons financiers, ce n'est pas un cauchemar, c'est possible, ils l'ont fait.

Il est urgent d'annuler cette folie, d'exiger le rejet en deuxième lecture de ce texte de loi.

Comme parmi les psychologues on comptera beaucoup de canailles et d'ahuris pour s'en féliciter, il faudra bien nouer des alliances transversales avec ceux des psychiatres qui sont responsables et conscients, ceux ci étant parfois plus près de nous que ceux là. C'est pour eux que ce sera le plus difficile tant ils ont des siècles de soumission à l'esprit de corps, qu'ils placent encore au dessus de l'éthique. Mais comme le pire n'est jamais sûr, il est encore temps de se réveiller.

Si les députés veulent vraiment lutter contre les sectes et les charlatans, s'ils veulent développer le libre accès aux psychothérapies, qu'ils votent des moyens supplémentaires pour la psychiatrie de secteur. C'est en embauchant des psychologues et des psychiatres qui travailleront ensemble dans les centres médico-psychologiques qu'ils préserverons le public de ce qu'ils dénoncent à juste titre. Pas en légiférant ce qui ne peut et ne doit pas l'être.

BARAK Jean

2003



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