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Des psychologues s'interrogent sur le QI et certains de ses usages


Rédigé le Mardi 3 Janvier 2006 à 01:31 | Lu 9658 fois | 0 commentaire(s)



Une contribution à la réflexion

TEXTE écrit par 9 psychologues cliniciens, enseignants et chercheurs,
spécialistes de l’examen psychologique et intellectuel de l’enfant,


L’actualité, avec un colloque international début octobre consacré à l’intelligence de l’enfant et les questions pressantes adressées aux psychologues, nous offre l’occasion d’appeler nos collègues, et tous ceux qui sont concernés par l’éducation et la santé de l’enfant, à réfléchir et débattre sur les usages du quotient intellectuel (Q.I.) et certaines dérives actuelles.

On observe, en effet, une attente sociale de plus en plus forte visant à faire évaluer et caractériser par les psychologues les capacités mentales d’un être humain (et particulièrement celles d’un enfant) uniquement par un chiffre. Ces demandes et leurs réponses raccourcies reposent sur une croyance qu’elles renforcent : le Q.I. serait une « mesure » aussi élémentaire qu’un poids de naissance ou qu’un taux de glycémie sanguine.

Or, le QI est l’expression d’un classement par rang à différentes épreuves. Un sujet moyen idéal se classe avec un QI égal à 100. Il serait absurde de dire qu’avec un QI de 120, on est « deux fois plus » intelligent qu’avec un QI de 60. De même dans une course, la durée de course du 50ème n’est pas la moitié de celle du 100ème, ni le double de celle du premier.

Avec la conviction qu’un QI est une mesure simple, un public fragilisé tente de trouver des principes explicatifs aux difficultés et obstacles qu’il rencontre. Un Q.I. bas ou élevé devient alors la cause unique de difficultés pourtant complexes. Cet indice dirige des parents en désarroi vers des solutions inappropriées et caricaturales, alors que des analyses psychologiques approfondies pourraient fournir une aide pertinente et efficace.

De telles demandes, émanant la plupart du temps des familles elles-mêmes, mais aussi d’organismes comme d’institutions publiques ou privées qui imposent des évaluations intellectuelles, s’appuient le plus souvent sur une conception réductrice et dépassée de l’intelligence, considérée comme unidimensionnelle, statique et facilement mesurable. Avec parallèlement l’idée fausse que cette « intelligence » est seule déterminante dans les difficultés qu’un enfant peut présenter à un moment de son histoire.

Un Q.I. n’est ni une fatalité, ni un destin.


Les signataires du présent texte souhaitent attirer l’attention de leurs collègues psychologues, mais aussi au-delà de leur discipline professionnelle, celle du public et des médias sur les points suivants :


1. La représentation sociale du Q.I. dans la société (c’est-à-dire la connaissance relative que l’opinion publique a de la notion de quotient d’intelligence) repose sur une conception qui a maintenant près d’un siècle. Elle ne prend pas en compte les nombreuses recherches qui ont considérablement enrichi le domaine de la mesure en psychologie - et principalement celui de l’évaluation de l’intelligence. Plusieurs indices permettent aujourd’hui d’apprécier les expressions et le fonctionnement de l’intelligence et de la pensée. Les observations cliniques et les travaux les plus récents témoignent ainsi d’une intelligence propre à chacun, qui prend des formes diverses et porte en elle des possibilités d’évolution. Il est connu que le chiffre de Q.I. est indissociable du test et du modèle théorique qui servent à son élaboration et à son calcul. Certains sujets peuvent ainsi montrer de grands écarts dans les compétences intellectuelles selon la démarche évaluative utilisée. De bonnes valeurs de corrélation entre des épreuves n’impliquent pas automatiquement à l’échelle individuelle des résultats identiques ou similaires et les résultats d’une évaluation intellectuelle sont susceptibles de varier chez une même personne selon le test utilisé. On constate un écart considérable entre la règle générale concernant le groupe ou l’échantillon de référence et son application au sujet toujours singulier. Dans certains cas, il est même nécessaire de pratiquer deux épreuves globales de développement intellectuel pour apprécier finement, dans des modalités différentes, le fonctionnement mental d’un enfant.

Si la grande majorité des psychologues accède aujourd’hui à ces connaissances fondamentales, il en est tout autrement des autres professionnels de la santé, de l’éducation ou du social, et a fortiori, du grand public.


2. Les données chiffrées tirées d’un test, qu’il s’agisse de Q.I. ou du rang obtenu par le sujet dans un échantillon de référence, ne sont pas un but en soi. Elles représentent le point de départ d’hypothèses et d’investigations et doivent être confrontées aux autres informations fournies par l’examen psychologique approfondi (observations qualitatives et cliniques, conditions de vie familiale, culturelle et éducative de l’enfant, investigations complémentaires, fonctionnement de la personnalité, etc.). Elles permettent de rendre compte de la présence et de la qualité de processus de pensée propres à chacun, d’en dégager les forces et les faiblesses. Seule la mise en relation des différentes données psychologiques aident à construire une interprétation cohérente et dynamique du fonctionnement mental. C’est la convergence des signes et des indices qui donne ensuite du sens à la démarche d’examen. Le psychologue peut alors en communiquer la synthèse sous la forme appropriée à ceux qui le consultent. L’énoncé isolé d’un chiffre quelconque, voire d’une série d’indices ou de moyennes, n’a, à lui seul, aucune signification. Le Q.I. est une écriture condensée et signifiante dont l’interprétation nécessite une formation clinique solide et une connaissance experte de la méthode utilisée. Chaque psychologue est personnellement touché dans son identité professionnelle quand il est confronté à des utilisations simplificatrices et restrictives de ces notions.


3. Les démarches évaluatives en Sciences humaines, et notamment en Psychologie, se basent sur des calculs de statistiques et de probabilités de plus en plus précis et performants. Le recours à des modèles mathématiques n’élimine pas l’approximation des mesures. Le calcul des marges d’erreurs et des intervalles de confiance, le recours de plus en plus fréquent à des fourchettes de valeurs, la mise en garde même et le rappel des éditeurs de tests psychologiques pour une utilisation réfléchie des données chiffrées, invitent tous les psychologues à l’usage prudent, raisonné et maîtrisé des résultats. La connaissance des principes de construction, des qualités métriques et des limites interprétatives des épreuves d’évaluation psychologique est une condition première à leur pratique éclairée. Les épreuves sont de remarquables outils de mesure et d’investigation si leur usage est conduit avec rigueur, sens clinique, réflexion critique et déontologie. Les résultats et conclusions qui en sont issus reflètent ces exigences et leur transmission aux personnes en tient nécessairement compte.


4. Plus directement, ces réserves et rappels de prudence amènent certains psychologues à ne pas communiquer un Q.I. Il peut s’agir de refus occasionnels car les conditions de l’examen psychologique ne leur paraissent pas satisfaisantes, ou d’une position permanente : un certain nombre de professionnels craint à juste titre la surinterprétation des résultats, les utilisations réductionnistes ou les exploitations administratives et sociales d’un Q.I. bas, élevé ou même dans la moyenne. Ces réserves éthiques sont respectables et doivent être reconnues, surtout si les destinataires ou les commanditaires ne présentent pas toutes les garanties d’une utilisation adaptée et appropriée des informations communiquées.

La « révélation » du QI de leur enfant est, pour la plupart des parents, le début d’un malentendu ou d’une obnubilation qui masque durablement la démarche d’interrogation et d’analyse qui les a conduits à la consultation psychologique. Que penser de cet argument qui prend le prétexte de la transparence et du droit d’accès de chacun à son « dossier » pour délivrer sans réserve ni scrupule des informations chiffrées dont la signification complexe échappe au plus grand nombre ?

L’annonce du Q.I. à l’enfant et aux parents a des implications profondes et pose une vraie question morale et déontologique dont les psychologues doivent absolument évaluer les conséquences. Il leur faut en débattre.


5. Au départ animés, on l’espère, d’un souci de clarification, certains médias se sont emparés de la notion de Q.I. (avec, il faut vivement le regretter, la participation maladroite ou même la complicité de quelques professionnels) et ont fait exprimer à des tests bien autre chose qu’ils ne le peuvent, bien plus qu’ils ne le permettent. L’illusion simplificatrice des nombres conduit à des malentendus majeurs dont les enfants peuvent parfois pâtir durablement. Trop largement assimilée à un exercice simple et banal, l’évaluation du développement et du fonctionnement intellectuels est pourtant un acte psychologique majeur qui prend toute sa valeur dans une démarche professionnelle d’ensemble, impliquant la demande initiale, la dynamique individuelle et familiale, les manifestations psychologiques et comportementales ainsi que la part subjective et intime du sujet. Les implications de cette investigation peuvent être importantes pour l’enfant et sa famille sur le plan personnel, narcissique et même identitaire.

L’évaluation d’un QI et sa signification se situent bien au-delà des marges étroites dans
lesquelles on tend à les confiner.

Il est temps pour les psychologues d’engager une réflexion et une analyse sérieuses et argumentées des usages du Q.I. comme de son statut clinique, social et même juridique.

Le Q.I., qui a bientôt 100 ans, est devenu une donnée scientifique et sophistiquée, une source exceptionnelle d’informations privilégiées pour le psychologue, aux conséquences parfois importantes pour les personnes, et il ne peut plus être laissé à des pratiques et des utilisations incertaines. L’application du code de déontologie des psychologues est plus que jamais la référence nécessaire de tous ceux qui exercent dans le domaine de l’évaluation intellectuelle et mentale de l’enfant.

La profession doit se saisir de ces questions, en débattre au sein des organisations et associations professionnelles et engager sa responsabilité scientifique et sociale en demeurant au service du plus grand nombre.


Robert Voyazopoulos (Psychologue à l’Education nationale, chargé d’enseignement Université Paris 5 et Ecole de Psychologues Praticiens - Paris)
Anne Andronikof (Professeur de Psychologie clinique, Directrice du laboratoire Psychopathologie de l’Identité, de la Pensée et des Processus de Pensée, Université Paris 10)
Dana Castro (Psychologue en CMP, Enseignante à l’Ecole de Psychologues Praticiens – Paris, rédactrice en chef de la revue Pratiques Psychologiques)
Georges Cognet (Psychologue à l’Education nationale, chargé d’enseignement Université Paris 5 et Ecole de Psychologues Praticiens - Lyon)
Bernard Gibello (Professeur émérite de Pédopsychiatrie et de Psychopathologie, Université Paris 10, Directeur honoraire du laboratoire d’exploration fonctionnelle et de recherche thérapeutique appliquée aux troubles cognitivo-intellectuels, Hôpital Pitié-Salpétrière, Paris)
Gilles Lemmel (Psychologue à l’Education nationale, chargé d’enseignement, Université Paris 10, Unité de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Sainte-Anne, Paris)
Claire Meljac (Psychologue, chercheur et formatrice, Unité de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Sainte-Anne, Paris)
Roger Perron (Psychologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Psychanalyste)
Marie-Luce Verdier-Gibello (Psychologue, Psychothérapeute, formatrice)


Les psychologues pourront apporter leur soutien en signant le présent texte sur Psy & QI ou en adressant leurs textes, commentaires, ou critiques au Journal des Psychologues.


Copyright - Le Journal des Psychologues n° 230 septembre 2005 tél : 01 53 38 46 46 Mailto JDP




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